I. Qu'est-ce que le deuil et la perte ?
Le deuil est une réaction émotionnelle et psychologique à une perte, qu’elle soit réelle ou perçue. C’est une expérience personnelle et unique, qui peut se manifester par des symptômes physiques, des émotions intenses et des changements de comportement. Il s’agit d’une réponse neuropsychologique à une perte importante, avec des aspects communs à tous mais aussi des réactions propres à chaque personne ou situation. La souffrance liée au deuil peut être forte et sa durée très variable.
La perte correspond à l’absence de quelque chose de précieux, que ce soit une personne, un objet, une émotion ou une idée. On distingue plusieurs types de perte :
- Perte réelle : reconnue par les autres, comme la mort d’un proche.
- Perte perçue : vécue par la personne mais pas forcément reconnue par les autres, comme la perte d’un rôle ou d’une indépendance.
- Perte liée à la maturation : fait partie du développement normal, comme quitter le domicile familial.
- Perte situationnelle : survient de façon imprévue, par exemple un accident ou une maladie soudaine.
- Perte ultime ou décès : la perte d’une personne chère, qui touche profondément les survivants mais peut aussi être une occasion de croissance personnelle.
II. Les différents types de deuil
Le deuil correspond à l’expression du chagrin face à une perte. Il se manifeste souvent de manière publique ou observable, mais il peut aussi être influencé par les croyances, la religion et la culture de la personne. Il s’agit de la réaction à la réalité objective de la perte, comme la mort d’un proche.
Le deuil anticipé survient avant la perte réelle. Il concerne souvent les familles de personnes en fin de vie, mais le patient lui-même peut aussi le ressentir. Il se traduit par des réactions émotionnelles, cognitives, culturelles et sociales face à la mort attendue. Le deuil anticipé peut parfois réduire l’intensité ou la durée du deuil après le décès.
Le deuil aigu est caractérisé par une intensité émotionnelle forte, avec une préoccupation constante pour la personne décédée. Cela peut entraîner un désengagement temporaire de la vie quotidienne et des activités habituelles.
Le deuil intégré correspond à une adaptation progressive à la perte. Le deuil devient alors plus discret, en arrière-plan, et la personne peut se réengager pleinement dans sa vie malgré l’absence du défunt.
Le trouble de deuil prolongé se caractérise par une détresse émotionnelle intense et persistante après une perte. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à ce trouble :
- pensées négatives ou inadaptées,
- comportements d’évitement,
- difficultés à gérer les émotions douloureuses,
- différences dans la santé ou le statut social,
- manque de soutien social, qui empêche l’adaptation à la perte.
III. Processus du deuil
Le deuil se déroule généralement en trois phases principales :
- Protestation : refus d’accepter la perte, accompagné de colère, ambivalence et pleurs.
- Désespoir : mélange de déni et d’acceptation, avec tristesse intense et comportement désorganisé.
- Détachement : acceptation de la perte, redéfinition de la relation avec le défunt et reprise progressive de l’énergie pour avancer dans la vie.
IV. . Les 5 étapes du deuil selon Kübler-Ross
Après une perte importante ou un diagnostic difficile, les individus peuvent traverser cinq étapes émotionnelles :
- Déni : choc et incrédulité.
- Colère : frustration ou ressentiment dirigé vers soi-même ou les autres.
- Marchandage : tentative de négocier avec une force supérieure pour retarder ou changer la perte.
- Dépression : prise de conscience de la perte, retrait ou discussion ouverte des émotions.
- Acceptation : reconnaissance de la perte et orientation progressive vers l’avenir.
1. Déni
Exemple de réaction du patient :
« Vous devez vous tromper. Cela ne peut pas m’arriver. Je me sens en bonne santé, je n’ai aucune douleur ni maladie. Je suis trop jeune pour mourir, j’ai encore des projets et des objectifs. Je suis sûr que le médecin s’est trompé, je chercherai un autre avis. »
Explications pour l’infirmier(ère) :
- Le déni est souvent la première réaction face à une maladie grave ou à l’annonce d’une fin de vie.
- Le patient peut refuser les traitements ou ignorer les conseils médicaux, pensant qu’il est encore en bonne santé.
- Les proches peuvent également manifester de l’incrédulité ou de la surprise intense face à la situation.
Rôle de l’infirmier(ère) :
- Accueillir les émotions du patient avec empathie et compréhension.
- Valider les sentiments : « Oui, je comprends d’où viennent vos sentiments. Ce que vous ressentez fait partie d’une réaction normale au deuil. »
- Maintenir une communication claire et rassurante, tout en respectant le rythme du client pour accepter la réalité.
2. Colère
Rôle de l’infirmier(ère) :
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- Rester présent et disponible pour le patient afin de répondre à ses besoins.
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- Comprendre que les réactions agressives ou querelleuses sont normales dans le processus de deuil.
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- Écouter activement le patient pour instaurer confiance et sécurité, en jouant un rôle de soutien et de défenseur pendant cette période difficile.
Exemple de réaction du patient :
« Je déteste ma vie ! Je ne veux parler à personne ! Ne m’approchez pas ! »
Pensées possibles derrière cette colère :
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- « Je ne veux pas être traité avec condescendance, je veux garder mon autonomie. »
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- « J’ai peur que cette maladie me tue plus tôt, et je ne veux pas montrer ma vulnérabilité. »
Points clés pour l’infirmier(ère) :
-
- La colère traduit souvent peur, frustration et sentiment d’inadéquation.
-
- Ignorer ou critiquer le patient peut aggraver la colère.
-
- Il est possible que le patient devient exigeant, critique ou même physiquement agressif, ce qui reflète une perte de contrôle temporaire.
Lorsque le patient exprime de la colère, l’infirmier(ère) ne doit jamais le prendre personnellement. Il est essentiel de rester maître de ses émotions et conscient de ses propres réactions. Maintenir un contact visuel, fixer des limites avec fermeté, garder un ton de voix calme et montrer une écoute active permet d’instaurer un climat sécurisé et respectueux.
L’infirmier(ère) doit également rester attentif(ve) à tout signe d’agression physique et s’assurer de pouvoir accéder facilement à la porte si le patient devient violent. La patience et le calme sont essentiels pour accompagner un patient en colère tout en protégeant sa sécurité et celle du patient.
3. Négociation
Exemple de réaction du patient :
« Je donnerais tout ce que je possède pour être en bonne santé et guéri de cette maladie. Je promets de bien me comporter une fois que ma mère sera guérie. »
Cette étape traduit souvent une tentative de marchander avec une force supérieure afin de changer le cours de la maladie. Le patient peut se sentir impuissant et chercher à retrouver un contrôle en faisant des promesses ou en exprimant des vœux. L’infirmier(ère) doit écouter avec empathie, valider les émotions du patient et offrir un soutien émotionnel, en reconnaissant que ce comportement est une réaction normale au deuil.
4. Dépression
Pendant la phase de dépression, le patient peut présenter un retrait social, un manque de motivation et une perte d’intérêt pour les activités quotidiennes. Il peut exprimer un sentiment de désespoir profond, convaincu qu’aucune intervention ne pourra changer sa situation. Cette étape fait partie du processus normal de deuil et précède souvent l’acceptation.
L’infirmier(ère) doit rester présent(e) et disponible, en offrant une écoute empathique et en encourageant le patient à exprimer ses pensées et ses émotions.
Exemple de réaction du patient :
« Je préfère rester dans ma chambre plutôt que de sortir. Je n’ai envie de rien faire de toute la journée. »
Pensées possibles : « On ne peut plus rien faire pour moi. Je ne peux pas guérir de cette maladie ; autant rester allongé ici et dépérir. Tout espoir est perdu. »
Rôle de l’infirmier(ère) :
- Être attentif aux signes de dépression majeure et aux risques suicidaires.
- Surveiller discrètement le client à différents moments, pour évaluer son état émotionnel et sa sécurité.
- Encourager des activités qui favorisent des pensées positives et éviter les situations susceptibles d’aggraver la dépression.
- Offrir un soutien constant et empathique, en rappelant au client qu’il peut exprimer ses pensées à tout moment : « Je suis là pour écouter vos pensées. »
- Accompagner le patient vers l’adhésion aux traitements, même si sa motivation est limitée.
5. Acceptation
Lors de la phase d’acceptation, le patient a intégré la réalité de sa maladie et de son pronostic. Il choisit de se concentrer sur le temps qu’il lui reste, sur ses relations et sur la création de souvenirs positifs avec ses proches. Le patient peut également chercher à se réconcilier avec des erreurs passées et à vivre ses derniers moments de manière sereine et consciente.
Exemple de réaction du patient :
« Je suis pleinement conscient que je vais vivre longtemps avec cette maladie. Je vais laisser Dieu décider de mon destin et passer davantage de temps avec mes proches à partir de maintenant. »
Pensées possibles : « Au lieu de m’apitoyer sur mon sort, je choisis de passer du temps avec mes proches et de leur laisser des souvenirs heureux qu’ils pourront chérir. »
Rôle de l’infirmier(ère) :
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- Reconnaître et valoriser les efforts du patient pour surmonter ses sentiments négatifs.
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- Encourager les interactions avec la famille et les amis, et soutenir les activités qui apportent du confort et du sens.
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- Planifier et mettre en œuvre des interventions adaptées pour maximiser le confort physique et émotionnel du patient.
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- Souligner que les efforts du partient sont appréciés et importants, afin qu’il se sente respecté et valorisé malgré son état de santé.
- Profiter de cette coopération accrue du patient pour renforcer la relation de confiance et l’adhésion aux soins.
V. Diagnostic Infirmier
Il existe un chevauchement important entre les comportements observables pendant le deuil et les symptômes de la dépression, comme :
- insomnie,
- culpabilité,
- ruminations,
- manque de motivation.
La cinquième édition du DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5ᵉ édition) a retiré la mention du deuil dans le diagnostic de dépression majeure afin de reconnaître que, chez les patients vulnérables, le deuil peut déclencher rapidement une dépression majeure, parfois avec des conséquences graves pour la santé.
VI. Caractéristiques d’un processus de deuil normal selon le DSM-5 :
- Les sentiments douloureux apparaissent par vagues, diminuent en intensité et en fréquence avec le temps, et sont souvent accompagnés de souvenirs positifs du défunt.
- Le sentiment dominant est celui du vide.
- L’estime de soi reste généralement préservée.
- Les idées suicidaires, lorsqu’elles apparaissent, sont en général centrées sur le défunt (désir de le rejoindre, culpabilité liée à la relation avec le défunt) plutôt que sur le patient lui-même.
1. Exemples de diagnostics infirmiers pour le deuil :
- Thermorégulation inefficace liée à la détresse émotionnelle.
- Déficit de volume liquidien lié à la transpiration excessive due à l’anxiété ou au stress.
- Anxiété ou détresse émotionnelle liée à la perte.
VII Conduite à tenir infirmier(ère)
1. Écoute active et présence bienveillante
L’écoute active est primordiale pour permettre au patient d’exprimer ses émotions et ses pensées. Une étude souligne que la présence silencieuse et l’écoute attentive favorisent le processus de deuil en offrant un espace sécurisé pour l’expression des sentiments
2. Soutien émotionnel individualisé
Chaque patient vit le deuil de manière unique, influencé par des facteurs culturels, sociaux et personnels. Il est essentiel d’adapter le soutien en fonction des besoins spécifiques du patient, en respectant son rythme et ses croyances.
3. Encouragement à l'expression des émotions
Il est important d’encourager le patient à exprimer ses émotions, que ce soit par la parole, l’écriture ou d’autres formes créatives. Cela aide à traiter le chagrin et à favoriser l’adaptation au deuil.
4. Facilitation des liens sociaux
Le deuil peut entraîner un isolement social. L’infirmier peut aider le patient à maintenir ou à rétablir des connexions avec sa famille, ses amis ou des groupes de soutien, ce qui est crucial pour le processus de guérison.
5. Surveillance des risques suicidaires
Il est impératif de surveiller les signes de dépression sévère ou de pensées suicidaires. Une évaluation attentive et une intervention rapide peuvent prévenir des issues tragiques.
6. Documentation et communication interdisciplinaire
Une documentation précise des observations et des interventions permet une communication efficace avec l’équipe soignante, assurant une prise en charge cohérente et adaptée aux besoins du patient.
7. Promotion du bien-être physique et mental
Encourager des activités qui favorisent le bien-être, telles que la relaxation, l’exercice léger ou la méditation, peut aider le patient à gérer le stress et à améliorer son état général.
VIII. Conclusion
Accompagner un patient en deuil est un processus délicat et essentiel dans le rôle infirmier. Il demande écoute, empathie et observation attentive, ainsi qu’une adaptation des interventions en fonction des besoins émotionnels, sociaux et culturels de chaque patient. En comprenant les différentes étapes du deuil et en appliquant des stratégies basées sur des preuves scientifiques, les infirmiers peuvent soutenir efficacement le patient, prévenir les complications comme le deuil compliqué ou la dépression, et favoriser une adaptation saine à la perte.
Pour approfondir vos connaissances, n’hésitez pas à consulter nos autres articles sur la prise en charge des émotions, l’accompagnement des patients en fin de vie et le soutien psychologique, afin d’élargir vos compétences et votre pratique infirmière.